Discerner spirituellement, c’est toujours chercher la volonté de Dieu dans une situation particulière, c’est-à-dire « chercher et trouver », dit Ignace (Exercices spirituels, 1) comment répondre le mieux possible à la volonté de son amour ; ce qui revient à choisir la volonté de Celui qui nous a choisis. Le discernement spirituel impose donc que nous nous laissions discerner par une histoire plus vaste que la nôtre, celle du salut du monde en Jésus-Christ. Discerner, c’est dit-on souvent, entrer dans le combat spirituel, le combat de Jésus pour Dieu, son combat contre « l’ennemi de la nature humaine », le combat de Dieu contre la liberté pure qui s’est révoltée contre Lui, le combat de l’Esprit saint pour la liberté humaine.
Ce combat, le Crucifié l’a déjà emporté. Cette victoire, acquise au prix du sang de Dieu, est semence de vie pour l’univers entier. Toutes les luttes humaines, tous nos combats, nos ambiguïtés et nos contrariétés, sont déjà définitivement traversés, puisque le Seigneur ressuscité a déjà été exalté dans la gloire. Et la vie de l’Église de la terre est simplement le déploiement dans l’histoire, de génération en génération, de cette certitude et de cette responsabilité. Le combat du Christ et de l’Église pour Dieu est spirituel en tant qu’il est louange et exultation de l’Esprit pour cette victoire où le Christ glorieux donne à l’Église de ressusciter toujours davantage, à la gloire de Dieu toujours plus grand.
Ce combat impose, comme élément constitutif, l’écoute de la Parole de Dieu, particulièrement incisive en ces jours de Chapitre, vous l’aurez remarqué. L’action de grâce qui est sa forme implique qu’il se présentera dans des temps de grâce divers. Ignace dit dans les Exercices qu’il y a « trois temps en chacun desquels on peut faire une saine et bonne élection » (Ex. 175 et s.) – un terme à entendre, dans langue ignatienne, comme le fait de choisir le choix de Dieu.
Le premier temps est celui où l’on peut agir « sans douter ni pouvoir douter », parce que l’on est pris dans une sorte de « consolation sans cause », où Dieu agit comme immédiatement avec ses créatures (Ex. 15) ; ce n’est pas le plus courant, même si c’est le plus fondamental – l’analogue premier. Le second temps (Ex. 176), est celui de la distance et de la proximité, marqué par l’alternance de la consolation et de la désolation ; ici la mise en présence priante des objets du discernement suscite le mouvement des esprits – le bon qui se reconnaît à la paix, la joie, l’allégresse ; le mauvais qui cherche à étendre la tristesse de l’impasse infernale, de l’abîme du non sens et du péché. Le troisième temps (Ex. 177) est le temps où l’homme mesure l’histoire à partir de ses puissances naturelles, la raison et la mémoire – temps de la liberté de la recréation. Il se distingue lui-même en deux, selon qu’on y reconnaît une manière plus marquée par l’une ou par l’autre. De toute façon, ces temps se concluent dans l’oraison où l’on demande encore confirmation de ce que la volonté humaine a aperçu, Dieu aidant, de conforme à la volonté divine.
Quand on a affaire à un discernement communautaire, les éléments constitutifs sont les mêmes, car le « nous » rassemblé connaît toujours, dans les personnes en présence, la fonction de mémoire (qu’avons-nous fait dans des situations similaires autrefois ?), d’intelligence (qu’est-ce qui est au juste en jeu ?), de volonté (s’il en va ainsi, alors, allons vers cela). Et on peut dire qu’il y a un Ange pour chaque communauté, et un Démon aussi – les démons innombrables n’épargnent aucun homme ni groupe d’hommes, dit Ignace (Exercices, 141). Un « nous » stable et sans jamais aucune agitation n’a pas encore livré le combat spirituel. Il se peut aussi que le groupe ait quitté la transparence du premier temps, ou l’agitation du second, pour se retrouver dans le re-pos du troisième. Mais de toutes manières, tous les temps sont repris dans la miséricorde qui les rend féconds.
Quels que soient l’institut et la spiritualité, le discernement spirituel permet partout l’entrée dans l’obéissance limpide et onéreuse du Seigneur à son Père et de l’Église à Dieu. C’est à ce prix qu’il est source de salut et d’action pour ceux qui y sont engagés, et pour le monde entier. « Nous qui espérons ce que nous ne voyons pas, nous l’attendons avec persévérance » (Rm 8,25).