2. Un cœur qui fait mémoire
Garder fidèlement dans son cœur les choses qui concernent son fils c’est, pour Marie, les garder fidèlement dans sa mémoire. Le cœur, c’est aussi le lieu de la mémoire.
Commençons par chercher ce que signifiait le cœur pour saint Luc. On rencontre, dans l’Évangile de saint Luc, le mot cœur à peu près une vingtaine de fois. Si on regarde les différents endroits, on voit que le cœur est d’abord le lieu où naissent les pensées de l’homme (Luc 9,47) : « Jésus sachant la pensée de leur cœur » ; ou bien un peu plus loin Jésus dit : « pourquoi ces pensées dans vos cœurs ? ». Et encore après la Résurrection : « Pourquoi ces pensées rentrent-elles dans vos cœurs ? » (Luc 24,38) , demanda Jésus ressuscité ses apôtres. Le cœur, c’est le lieu des pensées profondes et des interrogations importantes : le lieu où l’on se parle à soi-même et d’où naissent aussi les paroles que nous disons. Quelques autres passages : « Tous se demandaient en leur cœur si Jean n’était pas le Christ » ; c’est, évidemment une interrogation très importante pour les Juifs. Au chapitre 12, dans une parabole Jésus dit : « Si ce serviteur dit en son cœur, mon maître tarde à venir… » (Luc 12,45) ; ou bien encore Jésus dit : « L’homme bon, du bon trésor de son cœur sort ce qui est bon ; celui qui est mauvais de son mauvais fond sort ce qui est mauvais, car c’est du trop-plein du cœur que parle sa bouche » (Luc 6,45). Toutes ces images qui nous parlent du cœur suggèrent en même temps une idée de profondeur d’où l’on tire quelque chose, ou bien d’où remontent des pensées et des paroles.
Mais le cœur n’est pas seulement le lieu où naissent les pensées personnelles de l’homme et d’où naissent ses paroles, le cœur est aussi le lieu où l’homme accueille les paroles et les événements, les pensées qui lui viennent du dehors ; nous le voyons en un certain nombre d’autres endroits. Ainsi, en Luc 1,66 : « Tous ceux qui entendaient parler de ces choses – ce sont tous les événements qui concernent Jean-Baptiste – les déposèrent dans leur cœur ». Et ce verset est très proche des deux versets qui concernent Notre-Dame et où il est dit qu’elle conserve toutes choses en son cœur. Tous ces événements, elle les met dans son cœur. Puisque dans tous ces cas-là, il est question de paroles et d’événements qui sont déterminés par Dieu, garder toutes ces choses en son cœur équivaut pratiquement à croire : on accueille ce que Dieu dit, ce que Dieu fait. Et de ce fait, le cœur devient le lieu de la foi, le lieu où l’homme accueille vraiment la parole de Dieu. C’est visible tout particulièrement dans la parole du semeur, au ch. 8 : « la semence, dit Jésus, c’est la Parole de Dieu ; ceux qui sont au bord du chemin sont ceux qui ont entendu, puis vient le diable qui enlève de leur cœur » (Luc 8,12)… Un peu plus loin, « ce qui est dans la bonne terre, ce sont ceux qui ayant entendu le parole avec un cœur noble et généreux la gardent et portent du fruit » (Luc 8,15). Donc le cœur, c’est vraiment l’endroit où j’accueille la parole de Dieu, où elle est semée. Et aux disciples d’Emmaüs, Jésus dit : « Cœurs sans intelligence, lents à croire » (Luc 24,25). Donc, c’est vraiment avec le cœur que l’on croit et bien sûr, même si le cœur peut être sans intelligence, cette foi n’est pas une foi purement intellectuelle ; le cœur dont elle procède, c’est vraiment toute la disposition de l’homme devant Dieu et sa parole ; c’est la liberté humaine dans sa profondeur ultime, dans son être devant Dieu ; et finalement le cœur, c’est le centre même de la personne. C’est à ce centre personnel que Jésus fait appel quand il dit à ses témoins : « Mettez-vous bien dans le cœur que vous n’avez pas à préparer d’avance votre défense » (Luc 21,14). Ou bien quand il dit : « Là, où est votre trésor, là aussi sera votre cœur » (Luc 12,34). Le cœur est ce qui se convertit quand l’homme obéit à la parole de Dieu, par exemple quand Jean-Baptiste vient « tourner le cœur des pères vers leurs enfants » (Luc 1,17).
Et c’est ainsi que le cœur en arrive, dans l’Évangile de saint Luc, à désigner la personne elle-même dans sa décision pour ou contre Dieu. Je cite un certain nombre de versets qui nous le montrent bien : « vous qui vous donnez pour justes devant les hommes, Dieu connaît pourtant votre cœur » (Luc 16,15). Dieu « disperse les hommes au cœur superbe » (Magnificat, Luc 1,51). Le signe de Siméon (au début de l’Évangile) est donné « afin que soient dévoilées les pensées de bien des cœurs » (Luc 2,35). Le cœur, c’est la profondeur de l’homme qui est déjà dévoilée pour le regard de Dieu et qui sera dévoilée aux yeux de tous lors du Jugement. Il faut donc, dit Jésus, prendre garde « que vos cœurs ne s’appesantissent pas dans la débauche, l’ivrognerie, les soucis de la vie » (Luc 21,34) ; au contraire, il faut que vos cœurs demeurent brûlants : « Notre cœur n’était-il pas tout brûlant au dedans de nous quand Il nous parlait en chemin et qu’il nous expliquait les Écritures », se demandent les disciples d’Emmaüs (Luc 24,32). Car finalement, le cœur, c’est le lieu de l’amour. Ici il faut citer un verset, le dernier que nous citerons – c’est un des plus importants – c’est Jésus qui répond aux scribes qui l’interrogent sur le premier commandement et Jésus cite le Deutéronome : « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur » (Deutéronome 6,5). Nous avons ainsi relu ensemble un certain nombre de versets de l’évangile de Luc où il nous parle du cœur et nous voyons que le cœur, pour saint Luc, c’est le lieu des pensées intimes, des pensées profondes, c’est le lieu de l’accueil de la parole de Dieu, le lieu de la foi, c’est le lieu de la décision pour Dieu et finalement le lieu de l’amour. On pourrait dire que le cœur, c’est la profondeur de l’homme et finalement de la personne elle-même.
Le cœur est donc, pour saint Luc, le siège des pensées, comme nous l’avons vu ; mais, des pensées vraiment enracinées dans la décision dans la liberté et même dans l’affectivité et dans le corps ; car le cœur reste bien un organe du corps, pour les juifs comme pour nous. On peut le sentir battre en soi, s’affoler ou s’apaiser, s’appesantir ou s’alléger, se refroidir ou se réchauffer. Le cœur, ce sont les pensées mais les pensées vraiment dans leur liaison avec le corps et avec toute l’affectivité et le cœur symbolise ainsi toute la personne, corps et âme dans son engagement vis-à-vis de Dieu. Et ce symbole manifeste que Dieu prend tout l’homme : pas seulement en lui ce qui pense mais aussi toute son affectivité et tout son corps, c’est au cœur que Dieu s’adresse, c’est-à-dire à la personne et le cœur est précisément le centre où tout d’une certaine manière est lié ensemble. Parler du cœur de Marie, c’est donc parler de sa profondeur, de son intimité avec Dieu, de son intimité avec elle-même, avec l’histoire du salut ; c’est parler de sa foi et de son amour, de l’engagement de toute sa personne, corps et âme vis-à-vis de Dieu et c’est parler aussi de son espérance, car l’espérance est liée au souvenir, à la mémoire et les deux versets qui parlent du cœur de Marie constituent ce qu’on appelle dans l’Évangile de l’enfance « les refrains du souvenir ». Il y a trois moments dans l’Évangile de l’enfance en saint Luc où vient comme un refrain – il y a d’autres refrains qui viennent mais il y a entre autres ce qu’on appelle les refrains du souvenir et deux concernent la Vierge. Le troisième, nous l’avons cité aussi : « ayant entendu parler des événements (à propos de Jean-Baptiste) ils déposèrent tout cela dans leur cœur » (Luc 1,66).
Garder fidèlement dans son cœur les choses qui concernent son fils c’est, pour Marie, les garder fidèlement dans sa mémoire. Le cœur, c’est aussi le lieu de la mémoire.
Pourquoi est-ce que rencontrer le Ressuscité implique toute une activité de la mémoire ? Parce que rencontrer Jésus ressuscité, c’est le rencontrer tout entier ; c’est donc retrouver aussi tout le passé de Jésus, tout ce qu’on a vécu avec lui, toutes ses paroles, tout son mystère.
Si rencontrer Jésus ressuscité, c’est aussi faire mémoire de lui, nous comprenons aussi que la vraie reconnaissance de Jésus ressuscité a lieu dans l’Eucharistie. C’est d’ailleurs le sens profond de la rencontre d’Emmaüs.
Porter le nom de Sœurs du Saint-Cœur de Marie, cela veut dire entrer dans l’activité même qui a été celle de ce cœur : se souvenir de Jésus, garder présents, vivants dans son cœur, les événements, les paroles de Jésus, tout ce qui le concerne.
Le premier chapitre de nos constitutions de 1988 s’intitule : «Notre charisme : Sœurs du Saint-Cœur de Marie». Le texte part d’une double référence, unique dans toute l’Écriture, au cœur de Marie (Lc 2,19 et 2,51), où s’inscrit le rappel de la naissance obscure et de la croissance discrète de l’Enfant Jésus (2,7 et 2,49-51).
S’appeler Sœurs du Saint Cœur de Marie, qu’est-ce que cela voudrait dire ? Essayons de voir s’il y un rapport entre la vie religieuse et une attitude mariale.
La messe du Cœur Immaculé de Marie célèbre, au lendemain du Sacré-Cœur, la miséricorde de Dieu qui a donné à l’Église, avec le Cœur de Jésus, le Cœur de Marie, modèle du cœur nouveau habité par l’Esprit.
« Quand vint la plénitude des temps, Dieu envoya son fils né d’une femme… afin de nous conférer l’adoption filiale » (Ga 4,4). Que l’humanité soit associée à l’œuvre du salut en engageant si étroitement la personne d’une femme, impose à nos théologies une tâche qu’elles sont encore loin d’avoir menée à bien…
La prière du P. de Grandmaison est depuis longtemps entrée dans le patrimoine spirituel de la Congrégation. Avec elle, nous demandons au Père de nous «garder un cœur d’enfant»…
Présenter, sur le modèle d’autrefois, un horaire-type qui reflète notre vie d’aujourd’hui n’est guère possible. La Loi de Vie de 1967 écrivait déjà : « Tu es pauvre du temps qui appartient à Dieu, ce qui nécessite un effort de travail sérieux, dans une totale disponibilité intérieure ». Nos journées n’échappent évidemment pas à toute structure ou à toute rencontre commune, mais c’est la mission qui leur donne forme, à l’intérieur du cadre communautaire : chaque sœur œuvre au nom de toutes là où elle a reçu de la supérieure générale de manifester la mission confiée par l’Église à la Congrégation. La communauté, par des rendez-vous quotidiens (temps de prière, de services et de repas partagés) mais aussi des réunions fréquentes (rencontres d’échanges en tous genres) soutient ainsi la vie de tout le corps, grâce à une miséricorde toujours à recevoir à nouveau ensemble de la Bonté de Dieu.
Les Constitutions de 1988, demandent, au chapitre sur la pauvreté, que « chaque communauté adapte son style de vie aux nécessités des personnes et de l’apostolat ». L’écoute persistante de « ce que l’Esprit dit aux Églises » – dans la Congrégation, la communauté et l’existence de chacune – modèle ainsi le temps commun et personnel, que ce soit à l’échelle de la journée, de la semaine ou de l’année. Et c’est, comme autrefois, toujours dans l’Eucharistie que l’oraison personnelle, les temps de récollections ou de retraites, et les autres formes de ressourcement trouvent leur fondement et leur sommet.
D’après les notes manuscrites de Sœur Marie-Claire (1981 et 1985)
«On ne sonnait pas quand les pensionnaires étaient là. Sœur Antonia passait dans les dortoirs en disant : “Venite, Adoremus”»
«À la chapelle ; on descendait en pantoufles.
Prière du matin ; très longue, environ 20 minutes. Une suite de prières dont j’ai oublié le texte. Il y avait entre autres les 10 commandements de Dieu, les 5 commandements de l’Église, tous les actes, et cela se terminait par : “Que m’arrivera-t-il aujourd’hui, ô mon Dieu ?”. Méditation jusque 6h00. La Révérende Mère s’asseyait, le dos au mur, à côté du confessionnal, lisait passage par passage la méditation, le saint du jour ou un livre de la spiritualité de l’époque, souvent d’un jésuite.»
«Temps libre pour mettre ses souliers.
Certaines s’occupaient du lever des enfants qui allaient toutes à la messe, sauf celles du petit dortoir.»
«Déjeuner, toujours en silence ; chaque vendredi à genoux. Lecture par la Révérende Mère de quelque passage de la Sainte Règle.»
«Après déjeuner, on allait à son travail.
Les classes commençaient à 8h30.»
«Examen à la chapelle, terminé par l’Angelus.» Elle ajoute : «C’est notre sœur Laurence qui m’a, mot à mot, appris les 5 points d’examen selon saint Ignace. Je m’en sers encore.»
«Dîner. Début en silence. Chacune avait son tour pour la lecture. Au dîner, une sœur lisait une vie de saints (je l’ai fait longtemps).»
«Récréation en communauté. Aucune ne pouvait quitter la place sans permission.»
À 16h00 : «Goûter en silence»
«La Révérende Mère disait une prière et puis 5 Pater, 5 Ave, les bras en croix.»
«On se réunissait en communauté. Lecture jusque 18h30. La Révérende mère lisait des livres de formation religieuse. On pouvait coudre pendant cette lecture.»
«Salut mercredi, jeudi, samedi. Les autres jours, chapelet et litanies de la Sainte Vierge.»
«Examen de conscience dont les points différaient. Consécration au Sacré-Cœur devant la statue du Sacré-Cœur dans le corridor. La Révérende Mère donnait la bénédiction.»
«Coucher rapide. Tout était éteint ¼ d’heure après.»
D’après les Premières Constitutions
À 5h30, l’oraison commence par l’Angelus, et s'achève par la «revue de l’oraison»
Le temps de classe pour les enfants est interrompu à 10h00 par la récréation qui se poursuit par l’étude.
Le dîner des Sœurs est précédé de l’Angelus et du Benedicite. Il se conclut par les Grâces. Un temps de lecture et de récréation le poursuit.
Le temps de classes de l'après-midi est suivi du goûter des enfants.
Constitutions 1869 : «À neuf heures moins 5 minutes, réunions extraordinaires de la communauté par ordre de la supérieure.»
À la prière du soir, on lit les points d’oraison du lendemain, et on fait l’examen de conscience.
«Un quart d’heure avant la fin de la prière de l’examen, la visitatrice sonnera le coucher par trois coups ; à ce signal, toutes les personnes de la maison doivent se mettre au lit, si elles n’y sont déjà, et éteindre la lumière.»