R. Le Fils de Dieu, non content de se dépouiller de toutes choses, s’immole encore lui-même pour accomplir la volonté de son Père. « Les oblations, lui dit-il, et les holocaustes n’ont pu vous plaire, mais vous m’avez donné un corps ; me voici, que je sois une victime (agréable) à vos yeux et que je satisfasse votre justice ». Il sacrifie en effet sa chair innocente ; et après avoir vécu dans les privations et les travaux, il expire dans les tourments sur la croix. L’âme religieuse contemple son Sauveur mourant, elle sait qu’Il demande d’elle un semblable sacrifice, et elle le lui offre par le vœu de Chasteté. Car la chasteté parfaite, dont le monde est loin d’avoir une juste idée, est un véritable holocauste de tout l’homme, par lequel le corps est immolé comme une hostie vivante, et le cœur comme une victime spirituelle.
J.-M. Hennaux : Puis vient, à la question 19, le conseil évangélique ou le vœu de chasteté. La manière dont la question est posée est de nouveau caractéristique : Comment la religieuse trouve-t-elle dans l’imitation de Jésus-Christ son vœu de chasteté ? La réponse : le Fils de Dieu – et c’est la première fois que cette expression se rencontre : avant, on avait parlé, comme nous l’avons vu, du Divin Sauveur, de notre Seigneur, de Jésus-Christ – le Fils de Dieu, non content de se dépouiller de toutes choses – cela c’était l’exemple de la pauvreté –, s’immole encore lui-même pour accomplir la volonté de son Père. Donc, pour la chasteté, c’est le vocabulaire de l’immolation, comme nous l’avons vu mais, de nouveau, c’est une immolation comme Jésus s’est immolé. Et Jésus s’est immolé à la volonté de son Père. Alors, la volonté du Père fait référence forcément à l’obéissance ; la volonté du Père, c’est ce à quoi on obéit, foncièrement ; ça montre bien que, pour Sœur Gonzague, comme c’est d’ailleurs dans la ligne de saint Thomas, de la théologie thomiste des vœux, le vœu le plus profond, c’est le vœu d’obéissance ; et c’est bien ignatien aussi : vous savez l’importance particulière que saint Ignace donnait à l’obéissance. Et, d’une certaine manière, le vœu d’obéissance informe les autres vœux : pauvreté et chasteté. Et donc, ici, Jésus-Christ, le Fils de Dieu, s’immole pour accomplir la volonté du Père. Donc nous voyons comment l’obéissance à la volonté du Père est ce qui inspire l’immolation de Jésus qui, à son tour, donc, est au fondement de notre chasteté.
Les oblations, lui dit-il, et les holocaustes n’ont pu vous plaire mais, vous m’avez donné un corps, me voici, que je sois une victime à vos yeux et que je satisfasse votre justice. Passage de l’épitre aux Hébreux, n’est-ce pas, où Jésus s’offre au Père et il peut s’offrir au Père parce qu’il a un corps, il offre son corps. Notre vœu de chasteté, c’est l’offrande de notre corps comme Jésus a offert le premier son corps. Mais Jésus a offert son corps et a immolé son corps pour sauver le monde : « afin que je satisfasse votre justice ». Bon, je ne vais pas m’engager longuement dans la théologie de la rédemption ; bien sûr, c’est le Père qui veut sauver le monde dans son amour, mais dans son amour rédempteur qui est aussi partagé par Jésus. Eh bien, Dieu donne à l’homme de réparer en justice le mal qu’il a fait, et c’est une grâce qui nous est faite. C’est que le Père ne passe pas simplement l’éponge sur le péché des hommes en disant : je fais comme si de rien n’était, mais, dans le Christ, le Père permet à l’humanité de réparer vraiment le mal qui a été fait ; et donc, nous pouvons être totalement en paix devant Dieu parce que la dette a été payée en justice, il faut voir cette justice à l’intérieur de l’amour.
Je souligne cela simplement pour mettre en lumière une fois de plus que l’acte du Christ que nous imitons dans la vie religieuse particulièrement, c’est son acte rédempteur, c’est son acte de mourir, c’est son acte de s’immoler, mais c’est son acte de s’immoler pour le salut au monde pour accomplir la volonté de salut du Père, et ça montre bien, je le souligne dès maintenant, que nos vœux à nous sont vus dans cette perspective de collaboration au salut et dans une perspective rédemptrice. Et là aussi, je crois que c’est une théologie bien particulière de Sœur Gonzague, particulière en tout cas en ce sens qu’elle n’est pas partagée par tout le monde. Vous aurez pas mal d’auteurs, pas mal de théologiens de la vie religieuse, qui parleront de la pauvreté, de la chasteté, de l’obéissance, comme de trois vertus vécues bien sûr par le Seigneur mais qui ne sont pas reliées de manière si intime à l’acte rédempteur. Eh bien, pour Sœur Gonzague, si nous nous dépouillons de toutes choses, si nous immolons notre corps et si nous obéissons, c’est pour collaborer au salut, au salut des âmes : c’est par participation à l’acte rédempteur du Christ.
S’il n’y avait pas eu de péché dans le monde, faire vœu de pauvreté, de chasteté, d’obéissance, n’aurait pas eu de sens, en réalité ; en tout cas, personnellement, je partage tout à fait cette théologie. Renoncer au mariage n’a, au point de vue chrétien, tout son sens que par union au sacrifice du Christ et dans une perspective de travailler avec Lui au salut du monde. C’est un sacrifice qui ne se comprend vraiment que dans cette perspective-là. Pour le dire en passant, Jean-Paul II, quand il parle aux religieux, aux religieuses, a toujours, lui aussi, cette même théologie des vœux : comme participation à l’acte rédempteur du Christ. Ce n’est pas simplement participation à la pauvreté, à la chasteté et à l’obéissance du Seigneur en général, mais c’est vraiment travail rédempteur.
Il sacrifie, en effet, sa chair innocente. Et après avoir vécu dans les privations et les travaux, il expire dans les tourments sur la croix. Toujours cette référence à l’acte de mourir, à la mort du Christ. Alors, de nouveau, très discrètement, Sœur Gonzague montre comment dans la prière et la contemplation, toutes ces réalités nous atteignent : l’âme religieuse contemple son Sauveur mourant. Donc, la prière de l’âme religieuse, c’est de contempler le Sauveur dans sa mort, d’une manière toute particulière. Elle sait qu’il demande d’elle : donc, toujours ce vocabulaire de la demande : le Christ « demande ». Et dans la prière, on ne contemple pas simplement comme cela, mais on entend une demande. Une demande à laquelle on va consentir. Elle sait qu’il demande d’elle un semblable sacrifice et elle le lui offre par le vœu de chasteté, car la chasteté parfaite dont le monde est loin d’avoir une juste idée est un véritable holocauste de tout l’homme par lequel le corps est immolé comme une hostie vivante – ah! le mot hostie, je l’avais oublié, revient ici ! – et le cœur comme une victime spirituelle. La pauvreté concernait les choses, les biens matériels ; la chasteté concerne le corps et le cœur. Et l’obéissance, bien sûr, concernera la volonté. Il y a tout une anthropologie, là, qui est mise en œuvre et qui sous-tend aussi la théologie des vœux. Sœur Gonzague va développer d’abord ce qui concerne le corps et puis le cœur.