Une cachette introuvable
Je ne sais à quel moment a été arrangée la cachette pour les juives et les jeunes hommes1, sans doute en 1943. Nous avons creusé dans ce qu’on appelait le chauffage de l’ancien bâtiment, dans le mur de droite à l’entrée, vers la salle de bain. Il y avait là un volume non utilisé. Nous creusons dans les pierres et les terres noires (peut-être chargées de suie). Chaque soir, après la prière, nous passons nos longs tabliers pour travailler pendant le sommeil du reste de la maisonnée. Combien de nuits cela a-t-il duré ? Un maçon en a parfait le travail, de sorte que la cachette était à l’abri d’éboulements. L’entrée était une trappe dans le vestiaire, sous le grand tapis. L’escalier y aboutissait, il y avait une réserve d’eau et de biscuits renouvelable.
Un jour, à l’heure de l’étude, Monsieur l’Aumônier2 avertit que les camions allemands stationnent quelques mètres plus bas. De fait, on les voit de la fenêtre du petit parloir. Sans aucun doute possible, c’est pour nous. Monsieur l’Aumônier se poste à la fenêtre du petit parloir, toutes portes ouvertes. Des sœurs sont en sentinelles aux endroits stratégiques du corridor. La salle d’étude se vide en ordre, le rang descend. Au passage devant le vestiaire, les juives, sur un signe, quittent le groupe et entrent dans la classe en face. Le tapis est roulé, la trappe ouverte. Les autres pensionnaires descendent à la salle de eux rejoindre les petites qui y sont déjà. Tout se passe dans le calme. C’est un trajet quotidien, mais habituellement un peu plus tardif. Le temps s’écoule. Monsieur l’Aumônier annonce : « Les camions sont partis ». Mieux vaut attendre encore. Ensuite, la vie normale reprend, on a eu chaud ! […]
(Plus tard, le lundi 4 septembre 1944), une voisine d’en face, Madame Vanwelsenaert3, raconte à la révérende Mère4 : « Un jour, des camions allemands se sont arrêtés devant la maison. Des soldats ont sonné, m’ont tendu un mandat de perquisition sur lequel j’ai lu le numéro du couvent. Comme je n’avais rien à cacher et que je devinais qu’il se passait des choses chez vous, je n’ai pas fait remarquer l’erreur. Ils ont tout fouillé, de la cave au grenier et même le jardin ». Le récit de la dame coïncidait avec notre grande alerte et nous avons compris à quel point la Sainte Vierge nous avait protégées.
Propos d’Adeline Fabri (anciennement sœur M.-Léopold)
recueillis par sœur Mutien-Marie (Marie Van der Perre) en 1985.
Les deux sont décédées.
1. Réfractaires au travail obligatoire.
2. Il habitait en face du Pensionnat.
3. Fille d’un général de l’armée belge.
4. Mère Marie-Véronique.